Depuis quelques temps nous avions des échanges avec un très ancien client, qui trouvait que nos tarifs de développement de sites étaient vraiment élevés, ce que nous comprenions pas, compte tenu de la montée en gamme du client et du niveau d’exigence de nos interlocuteurs clients sur les finitions.
C’est en informant le bras droit de cette personne de la situation que les choses ont commencé à s’éclaircir, et à s’apaiser ; le point de comparaison de notre client était le salaire minimum roumain. En effet, beaucoup d’entrepreneurs d’Europe de l’Ouest pratiquent pour certaines postes des salaires d’embauche basés sur le salaire minimum multiplié par un coefficient X.
Sur la différence de niveau de vie et la différences de salaires
En Roumanie la réflexion n’est pas basée sur le salaire minimum, qui n’est finalement qu’un niveau fixé arbitrairement par l’État, mais bien plus sur le salaire moyen, sur lequel il y a aussi pas mal à dire.
Ce n’est pas parce que le gouvernement fixe un niveau de salaire minimum qu’on peut vivre avec ce salaire, surtout en ville, spécialement si on est pas déjà «hébergé » par sa famille. D’ailleurs je mets au défi n’importe qui d’y parvenir, franchement bon courage, sachant que pour l’essentiel, le coût de la vie en ville roumaine est devenu très proche de celui de l’Europe de l’Est ; énergie, habillement, automobile, et de plus en plus logement. Il reste des différences notamment au niveau des services, et aussi au niveau alimentaire au moment des légumes et fruits de saison, on trouve certes des produits pas chers mais de très faible qualité, comme les divers salamis et saucisses mixées fabriquées avec des rebuts d’animaux, beaucoup de soja, etc. de la bouffe low cost peu saine…
Ces différences ne reflètent cependant absolument pas le gouffre qu’il y a entre le salaire minimum de Roumanie (322 euro) et ceux d’Europe de l’Ouest…
Il faut aussi tenir compte des pratiques spécifiques, par exemple les tickets partiellement défiscalisés sont très répandus en Roumanie, les tickets repas bien sur, mais aussi ticket cadeau, etc.
Ces tickets ne font pas partie du salaire au sens strict, mais ils représentent un coût pour les entreprises.
Et je ne parle même par de certaines pratiques, notamment dans le secteur du bâtiment, etc, qui fait qu’une partie des salaires sont parfois payés en liquide, et donc ne sont pas inclus dans les statistiques…
Par ailleurs il faut bien voir que pour les postes payes en ville au salaire minimum, du gardiennage par exemple, cela implique souvent pour les personnes concernées d’avoir une activité et un revenu de complément à côté. Mais il est vrai que le gardiennage ne demande pas la même concentration que la création de sites web…
Certes, on peut toujours «vivre à la Roumaine», à l’économie, c’est à dire à 8 jeunes dans un appartement, sans voiture même ancienne car la possession d’un véhicule implique des coûts incompressibles, etc
Simplement, si les gens devaient être forcés de se serrer la ceinture presque autant qu’à la période communiste, ils ont au moins une alternative, celle de quitter par millions le pays pour partir travailler ailleurs, et notamment en Italie, Espagne, au Canada …
C’est ce qui explique le fait qu’à Cluj-Napoca par exemple, la mairie proclame fièrement le fait que le taux de chômage est en dessous des 1 %! Ceci traduit certes une activité économique dynamique, mais cela signifie encore plus que quand les gens ne peuvent obtenir sur place un salaire décent, ils partent, tout simplement… donc on ne peut espérer embaucher de la main d’œuvre à des niveaux salariaux vraiment très bas.
Il faut faire une comparaison équitables des temps de travail
Il faut aussi comparer ce qui est comparable en terme de temps de travail, qui représente l’autre partie de l’équation de calcul du pris d’un projet web.
En effet, on signale parfois le fait que les équipes internes du client passent sensiblement moins de temps que nos équipes pour fabriquer des sites très comparables.
Mais quand nous obtenons les éléments pour faire des comparaisons précises, nous constatons que ceux qui ont développé les sites pour les clients ont réutilisé des éléments préexistants et ont fait diverses impasses en terme de finitions, impasses que les chefs de projets du même client ne nous passeraient jamais…
On nous répondra généralement que le site exemple du client « n’est pas tout à fait terminé », mais alors il faut être cohérent ;
– soit le niveau de finition n’est pas le même et alors il est normal qu’il y ait des différences de temps de développement et donc de coût.
– soit le calcul du temps de travail chez le client s’arrête avant la phase de « rectification » et la encore il est normal qu’il y ait des différences de temps de développement, car on compare des choses qui ne sont plus comparables.
Le mode d’organisation joue aussi un rôle, nous impliquons systématiquement des chefs de projets ce qui représente du temps en plus mais nous permet d’avoir plus de capacité et de flexibilité, et de mieux maîtriser la diffusion de l’information et la qualité du travail.
Enfin, il existe un autre paramètre qui explique les différences ; nous développons des sites qui sont très largement administrable, ce qui prend davantage de temps que de réaliser des sites non administrable, mais le fait de proposer des sites administrables représente une valeur ajoutée supplémentaire pour le client…
Le degré de mobilité des personnes et d’internalisation des marchés
Il y a deux autres facteurs auxquels nos clients d’Europe de l’Ouest ne pensent pas forcément ;
Tout d’abord le degré d’internationalisation d’un secteur. Le secteur de l’informatique roumain est très internationalisé, il n’y a qu’à regarder les noms de principales entreprises. En plus ce secteur utilise beaucoup les nouvelles technologies qui permettent de limiter les contraintes de la distance. Il est donc logique qu’en Roumanie, une partie des salaires des informaticiens soient liée au contexte technologique international, caractérisé par une certaine pénurie de ressources qualifiées, et pas seulement au contexte économique roumain.
Ensuite il faut voir la mobilité potentielle des personnes. Or le domaine de l’informatique est un domaine ou la moyenne d’age reste assez basse, tout simplement du fait qu’il y a 20 ans l’informatique roumaine était sinistrée et les personnes de ce domaine soit son parties soit se sont reconverties.
Les informaticiens d’aujourd’hui étant jeunes, ils voyagent régulièrement et facilement (merci à l’aérien low cost), ils sont par définition assez mobiles, et si les écarts de salaires sont trop conséquents par rapport aux pays occidentaux, eux qui sont bien formé et parlent des langues étrangères n’hésiteront pas à partir.
Seule la hausse sensible des salaires ces dernières années a réussi à fixer la grande majorité des informaticiens en Roumanie.
La très forte polarisation géographique du développement informatique en Roumanie
Un autre facteur à bien voir est le renforcement de quelques métropoles régionales, en forte croissance, qui « vampirisent » les meilleures ressources des villes moyennes de leur région. Les jeunes préfèrent vivre dans une grande ville qui leur offrira bien plus de possibilités au niveau professionnel, mais aussi des loisirs.
Je me souviens d’une discussion il y a quelques années avec un de nos salariés, originaire de Bistrita, une très jolie ville de plus de 70 000 habitants, sans compter les environs, celui ci m’avait indique que du point de vue de l’informatique Bistrita était devenue une ville quasi morte…
Cette situation est dommageable, car le développement du pays est très déséquilibré, la croissance est concentrée dans quelques grandes villes et le reste du pays a tendance à se vider.
Et encore, ce n’est pas le pire, je me souviens avoir visite il y a quelques années la plus grande ville de province de république de Moldavie, mais ce fut peine perdue car d’après les échos que j’avais, la grande majorité des jeunes à potentiel qui n’avait pas décidé de tenter leur chance à l’étranger voulait partir travailler et vivre dans la capitale du pays…
Différences sectorielles et tensions sur les ressources dans certains secteurs
En Roumanie on observe, en partie pour des raisons historiques, de très fortes différences de salaires suivant les secteurs ; l’informatique, mais aussi le domaine bancaire, ou encore celui de l’énergie sont réputés pour être de très bon payeurs, tandis que les services à faible valeur ajoutée payent beaucoup moins bien.
Ces écarts entre branches sont manifestement beaucoup plus élevés que dans d’autres pays aux économies beaucoup plus stables et matures.
De telles différences s’expliquent aussi du fait de pénuries de personnel qualifié et expérimenté dans certains secteurs, par exemple dans le domaine informatique, ces pénuries étant d’ailleurs bien loin de toucher juste la Roumanie, mais touchant manifestement un grand nombre de pays.
Enfin, contrairement à ce qui se passe dans beaucoup de pays occidentaux où les gens sont embauchés à des salaires conséquents, puis connaissent des augmentations finalement assez modestes au fil des années, en Roumanie les gens sont beaucoup plus payés en fonction de leur productivité réelle, donc ils commenceront bas, ce que permet le niveau du salaire minimum, mais ensuite les salaires montent assez vite, les salariés pouvant avoir plusieurs augmentations significatives au cours de leur seule première année dans l’entreprise.
Il faut aboutir à un partage équitable de la Valeur Ajoutée
Le vendeur est celui qui apporte le plus de valeur. C’est incontestable, et il est donc logique qu’il se taille la part du Lion. A la limite, ce qu’il gagne ne nous regarde pas, et mieux il gagnera sa vie, mieux tout le monde pourra se porter.
Parfois le client peut traverser une mauvaise passe, connaître des retards de paiement, le fournisseur peut se montrer patient jusqu’à un certain point, mais quand la situation du client est saine, il doit savoir accepter de ne pas se battre pour l’équivalent 1-2-3 % de son bénéfice annuel avant impôt, fraction qui pour le prestataire fera une différence considérable, la différence qu’il y a entre la stabilisation de ses équipes et de son activité, ou à contrario la nécessité de réduire la part d’activité avec le client qui trouve le coût élevé pour rechercher davantage de clients qui reconnaissent davantage la valeur du travail réalisé.
En fait, pousser à mettre très fortement l’accent sur la productivité pour « racler » encore un peu de marge en plus risque d’une part de brider la créativité dans une entreprise à la culture très familiale et conviviale, et surtout d’augmenter le turnover, lequel représente une perte importante pour le collectif. En effet, si des gens bien formés partent, leurs connaissances disparaissent, il faut reformer de nouvelles personnes à nos exigences, et pendant la période de transition nos capacités ne sont plus les mêmes, les nouveaux étant peu productifs, et les anciens moins efficaces car devant guider les nouveaux.
En conclusion, l’idéal serait que le client qui a des doutes vienne jusque dans notre ville, ce qui lui permettrait aussi de voir l’environnement, de regarder les prix, le style et le niveau de vie, bref de se faire par lui même une opinion concrète.
Il se rendra compte qu’on ne doit pas confondre les tarifs offshore et near-shore, sachant que les avantages de ces destinations sont aussi fort différents.
Surtout, on ne peut pas faire de comparaisons fiables en prenant certains paramètres d’un pays, la Roumanie par exemple, puis en y appliquant une logique de raisonnement d’un autre pays très différent, la Suisse, la Belgique ou autre. Si on veut raisonner de manière réaliste sur un pays, il faut prendre en compte tous les paramètres du pays où se trouve le fournisseur, pour avoir un raisonnement cohérent.
Enfin, si vous avez des différents avec un sous traitant IT near-shore, expliquez lui les points de votre raisonnement, pour qu’il soit possible de voir ce qu’il y a derrière les désaccords. Cela facilitera probablement la compréhension réciproque. Ceci d’autant que si les coûts ont indéniablement monté dans l’informatique near-shore, il doit forcément rester une différence sensible entre les coûts globaux (charges incluses) de Roumanie et ceux de l’Europe de l’Ouest.