Lors de discussions impromptues que j’ai eu au cours du mois d’août avec plusieurs salariés – chefs de projets, j’ai réalisé que le moral à leur niveau était sensiblement plus bas que ce que pensait…
Ils sont visiblement inquiets de l’avenir, il y a du stress enfoui, même si cela ne semble pas affecter la qualité de leur travail quotidien, au delà peut être d’une certaine forme de résignation…
Ils sont perdus, et dans un sens je les comprends…
Il y a bien sûr la dépression (oui, dépression !) économique mondiale, face à laquelle bien peu de citoyens du monde se sentent rassurés… A mon sens on est encore juste au tout début d’une longue crise, il y aura bien sûr des rebonds (faibles), mais le monde a accumulé trop de dettes qu’il faut purger, et aussi trop de capacités de production, et quand on voit que les Etats prennent le relais des consommateurs pour empiler toujours plus de dettes, et que la Chine, l’atelier du monde, est davantage dans une logique d’augmentation de ses capacités de production que de réduction, on se dit que le bout du tunnel est hélas encore loin…
Il y a aussi à mon avis une crise spécifiquement roumaine… le pays a hélas adopté ces dernières années beaucoup de caractéristiques du modèle américain, (économie basée principalement sur la consommation de produits le plus souvent importés, recours massif au crédit bancaire et spéculation immobilière débridée) et seule une banque centrale debout sur les freins avant la crise a permis d’éviter que la catastrophe ne soit encore beaucoup plus grave…
Comme les pays Anglo saxons la croissance avait été étonnamment forte ( 9,3 % annuels à la mi 2008), d’où la violence du retour de balancier aujourd’hui ( – 8,8 % à la mi 2009 !!). Les arbres ne poussent pas jusqu’au ciel, même dans l’UE…
Il faut dire aussi que la réponse de la classe politique locale est assez consternante ; la priorité semble être pour eux de se partager les fonctions publiques selon des critères d’appartenance partisane (et non de compétences), ce qui explique leur incapacité à réduire le poids d’une fonction publique notoirement pléthorique, couteuse et inefficace.
L’économie n’est pas la priorité des décideurs, les effets d’annonce désordonnés se multiplient mais on attend encore un plan cohérent et suivi, une vision de l’avenir du pays… les perfusions du FMI et des emprunts massifs aux banques permettent encore de payer les salaires des fonctionnaires (globalement sensiblement mieux payés que les salariés du privé même si certains d’entre eux – dans le domaine médical notamment – sont gravement sous payés ) et les retraites (que le gouvernement vient encore d’augmenter), mais les gens sont sans illusions sur ce qui se passera après les élections présidentielle de la fin 2009…
Plus globalement, j’ai le sentiment que les jeunes, et pas seulement ceux qui travaillent chez nous ont perdu leurs dernières «illusions économiques» avec l’effondrement de la bulle de confiance aveugle en l’avenir… finie la période ou il était courant que les salaires augmentent de 30 % par an… Pendant que la monnaie roumaine se revalorisait elle aussi par rapport à l’Euro… Dans beaucoup de têtes les standards de l’UE étaient déjà rattrapés, voire dépassés… Certes les prix de l’immobilier et les loyers augmentaient encore plus vite que les salaires, mais on se sentait plus riches (et on l’était par exemple pendant des congés à l’étranger…).
Maintenant plus personne ne sait ou l’on va, il n’y a plus de repères…
Après une baisse à la fin de l’hiver (qui m’a permis de renégocier mon loyer perso à la baisse ; -15%) les prix des loyers affichés à Cluj semblent être remontés ! Les propriétaires qui ont des réserves se raccrochent à toute bonne nouvelle (croissante totalement artificielle des marchés financiers car non liée aux profits de l’économie réelle) ou espoir (le retour des étudiants à la rentrée… mais attention, cette année arrive la 1ere classe creuse née après la révolution de 1989… et certaines famille ne pourront sans doute plus supporter le cout d’études au moment ou il devient de plus en plus clair que certains diplômes du supérieur ont autant de valeur que des assignats…)
La montée du chômage va aussi pousser à des «regroupements familiaux forcés», bref la pression immobilière devrait se réduire dans les grandes villes universitaires, même si on part d’une forte situation d’entassement (il n’est pas rare que 8 jeunes habitent dans un appartement de 4 chambres…) et si beaucoup de roumains partis à l’étranger et tombés au chômage reviennent…
Il n’est pas normal que le loyer de la maison ou se trouvent nos locaux, maison qui est convenable pour une start up de jeunes technophiles ( beaucoup moins dès qu’il est question d’habitation permanente…) se situe à l’équivalent de 2 salaires moyens, et encore, parce que nous avions TRES bien négocié, il y a 2 ans…
A une époque de stagnation (et dans beaucoup d’autres sociétés même diminution) des salaires, il faut que très vite les loyers (qui sont un poste de dépense considérables pour les jeunes salariés) reviennent à un niveau tolérable pour que ceux qui travaillent retrouvent du pouvoir d’achat qui sinon reste dans les mains de ceux qui bénéficient d’une simple rente de situation… Espérons que la rentrée passée, le jeu des chaises musicales s’accélèrera, les propriétaires refusant de renégocier à la baisse les loyers se retrouvant sans locataires, ce qui les poussera à baisser leurs prétentions pour attirer des locataires, et ainsi de suite… logique de marché qui a parfois encore du mal à prendre ici…
Il est clair que l’économie va mal, les soldes et promo se multiplient, c’est un signe… une large partie des locaux du centre ville de Cluj sont vides… même si au niveau des nombreux monopoles (utilités) les tarifs semblent toujours en hausse… l’ajustement prendra du temps…
De notre côté nous avons été obligés de licencier 3 intégrateurs en mars, suite à l’arrêt sans préavis des commandes d’une société qui fut un temps notre plus gros client… ces licenciements ont porté sur moins de 10 % de l’effectif, et on touché uniquement des personne qui, d’une manière ou d’une autre, n’ont jamais complètement réussi à s’adapter au comportement, méthodes et modes de travail nécessaires au sein d’une société comme la notre… (et nous en sommes vraiment pas des esclavagistes !)
Par mesure de prudence Transycons a aussi gelé, depuis quelques mois les salaires, le temps qu’on y voit un peu plus clair…
Depuis début 2009, le volume de travail a beaucoup fluctué selon les mois… mais, dans une logique «à la japonaise» nous n’avons plus licencie personne, ayant recours si nécessaire aux congés voire au chômage technique pour faire face au mieux à l’imprévisible… Nous faisons le maximum pour protéger les salariés… dont nous aurons besoin dès que la demande reprendra…
Ces salariés voient bien que chez nous il n’y a plus (ces derniers temps, et spécialement cet été) autant de travail qu’avant… nous savons que beaucoup ont regardé ailleurs, quelques uns ont visiblement décroché des entretiens, mais un seul est parti chez un autre employeur depuis le début 2009… Car la baisse d’activité est présente quasiment partout, et, nouveauté, l’émigration n’est plus une solution aussi simple, la récession étant mondiale, et de toute manière l’écart des salaires entre pays s’est largement réduit ces dernières années pour les professions IT…
Alors que faire ??? Faut il désespérer ?
Globalement la Roumanie a du soucis a se faire… Elle ne compte plus un seul groupe industriel significatif «significatif», et l’implantation récente d’unités dans l’automobile comporte essentiellement des usines tournevis, facilement délocalisables plus a l’Est…
Le secteur agricole est très très en retard, si le pays s’y met il pourra peut être redresser la barre, mais je ne vois pas de mobilisation générale pour l’instant, et cela ne se fera pas du jour au lendemain…
Bref, le secteur IT est plus que jamais un des secteurs clés pour sortir le pays de la crise, et je vois au moins 3 raisons pour nos salariés / les spécialistes du secteur IT de garder l’espoir :
– Il faut bien comprendre que dans la plupart des pays du monde la vie a été fondamentalement modifiée par Internet, lequel a crée de véritables besoins, disons même addictions. De plus en plus de gens n’envisagent tout simplement plus vivre, travailler, voire aimer sans Internet, et là je ne parle pas tant du vecteur internet proprement dit que de tous les sites, applications etc qui sont accessibles grâce à la toile. Chaque jour apparaissent de nouveaux besoins et de nouvelles solutions, la demande pour les sociétés comme la notre est donc en constant renouvellement. Nous sommes certes sur un marché secoué, donc relativement attentiste, mais qui a un bel avenir devant lui !
– Du fait notamment de la multiplication des implantations des grands groupes qui ont réussi a fixer localement les spécialistes IT, la Roumanie commence vraiment à avoir une image de marque dans le domaine IT, laquelle me semble sensiblement meilleure que l’image générale du pays auprès du grand public qui est encore trop brouillée par quelques faits divers hélas montés en épingle mais peu représentatifs…
– Grâce à cela, on voit arriver depuis quelques mois un nouveau type de clientèle pour de nouveaux types de demandes. Si jusqu’à présent les sociétés se demandaient pour une activité donnée si elles allaient «faire» en France ou dans des pays low cost, maintenant on voir arriver de plus en plus de demandes impliquant pour le prestataire Nearhsore de jouer le rôle de soupape (en cas de fluctuations d’activité). En effet, échaudés par le crise beaucoup de prospects réduisent leur point mort, et tout ce qui est dessus, (les pics d’activité) est en train d’être confié aux sociétés comme la notre. On a aussi des demandes sur un «bout» de process sur lequel les clients n’ont pas les compétences, ou qui est trop ponctuel… Nous sommes vus comme une sorte de «boites a outils», car aujourd’hui un client nous confiera par exemple 10 jours de travail sur du test de sites web, demain de l’intégration web de ses graphismes réalisés en interne, après demain du dév de modules spécifiques sur un CRM open source…
L’activité avec ces nouveaux clients ne se développera pas d’un coup, d’expérience il faut 1 an, voire 2 pour que le client nous envoie des volumes significatifs à ses yeux, mais de nouvelles choses se mettent en place… de nouvelles façon d’affecter une charge de travail…
A aujourd’hui, pour ce qui est de la création de sites internet, notamment «plaquettes», on sent clairement un tassement d’activité, car les budgets communication souffrent beaucoup en période de crise. En réaction nous visons une plus grande part de ce marché, en développant aussi notre offre pour les sites développés sous divers CMS.
Ce qui profite en revanche de la crise, c’est tout ce qui permet de faire de la productivité, notamment les applications web (nouvelles ou réalisées à partir de migration/re-développement), ou les portails internet innovants. La part de ce type de demandes dans notre chiffre d’affaire est donc logiquement en train de croître fortement…
Nous élargissons aussi notre zone de chalandise aux marchés germanophones, la concurrence est rude notamment vis à vis des freelance locaux, mais à moyen terme nous sommes confiants…
En conclusion je dirais que si l’optimisme béat «global» était et est non seulement stupide, mais même très dangereux, le pessimisme ambiant de la base est probablement excessif, au moins au niveau du secteur IT de Roumanie. Les gens qui sont chez nous y ont leur place. Et comme nous sommes dans une période de virtualisation galopante, je me dis que notre blog servira aussi de plus en plus à la communication interne, pour regonfler le moral des troupes qui verront à travers lui que beaucoup de choses bougent, même si au jour le jour mon associé et moi ne prenons peut être pas assez de temps pour communiquer (et que nous tomberons à aucun prix dans la réunionite !).
Lors d’une de mes conversations j’ai conseillé à une collègue chef de projet, si elle était stressée, de regarder attentivement la «tête du capitaine», ou plutôt des capitaines car nous sommes 2 ; nous ne sommes plus spécialement stressés car suite aux remises en cause dues à la crise nous savons que nous sommes sur la bonne voie…
A la limite si nous nous stressons un peu c’est plus du fait que de nombreux dossiers restées en attente au cours de l’été semblent brutalement se débloquer en même temps, annonçant plutôt un risque de surcharge au niveau du dév (mais mon associé a déjà commencé à regarder le marché au niveau des développeurs…). Même le client significatif qui nous a quitté il y a six mois nous est finalement revenu, après avoir eu beaucoup de temps de tester diverses alternatives prestataires et pays … c’est rassurant, non ??
Nous n’avons pas non plus l’intention de sacrifier cette année le team-building automnal, certains superflus sont en fait quasiment indispensables, quoi qu’il arrive… 🙂
Nous ne nions pas la crise, elle nous a d’ailleurs donné un coup de fouet, mais cela n’empêche pas de dépenser raisonnablement… à ce propos, dès que le cap de la rentrée sera passé et que nous serons définitivement fixés sur le volume d’activité, nous ne nous interdisons pas des coups de pouce salariaux ou des primes, mais sur des bases strictement individuelles, pour valoriser la performance et l’implication de certains, leur volonté d’évoluer hiérarchiquement, mais aussi techniquement, pour accompagner l’évolution permanente des technologies de notre domaine… car plus que jamais gagneront ceux qui se remettront en cause…